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Par murielB34 le 20 Mars 2018 à 21:23
Le vide, de Patrick Sénéchal (éditions Fleuve), 737 pages
Ma note : 4,5/5
Ambiance :
Pour : amateurs de roman noir (déprimés s'abstenir !)
Sans les multiples post de mordus sur le groupe FB « mordus de thriller » (un groupe privé de partage de lectures sur le thème que vous pouvez deviner aisément !), je pense que je serais probablement passée à côté de cet auteur canadien. Et j’aurais eu tort ! Donc mille mercis aux mordus tordus pour tous leurs conseils tellement variés (enfin sauf si on se place du point de vue de ma MAL –dont il faudra vraiment que je vous parle un jour - et de ma liste d’envies, qui grandissent grandissent grandissent… mais ceci est un autre sujet !).
Ici il est question d’un millionnaire qui devient animateur télé, de flics désabusés mais têtus, de meurtres sanglants, de suicides étranges, de téléréalité, d’un psychologue au bout du rouleau. Il est surtout question de désespoir, de perte de repère et de sens, de petitesse et de grandeur, de désillusion aussi. Exprimé comme cela, cela donne envie non ? Et pourtant … Pourtant, l’auteur réussit à nous embarquer avec lui.
Les personnages sont complexes, même si pas forcément très attachants. On les suit toutefois avec énormément d’intérêt car leur évolution n’est jamais évidente à deviner (leurs actes sont d’ailleurs à plusieurs reprises surprenants). Tous traversent des épreuves terribles et vont y faire face de toutes les manières possibles. Au travers de leurs comportements et réactions, c’est la psychologie humaine que l’auteur passe en revue, sans réellement rendre plus compréhensibles certaines attitudes. Pourquoi ce besoin de se faire humilier en direct par exemple ? Ou d’exhiber ses failles au risque de les voir ensuite se retourner contre vous ? Pourquoi choisir de voir exhausser ces rêves si petits, si mesquins, si égoïstes, alors que d’autres, bien plus altruistes ou utiles auraient pu être réalisés ? Sénécal pose donc de vraie questions sur l’humain : sa relation à autrui ; à ce que chacun considère comme de l’intime ou du montrable ; ses priorités ; ses envies profondes, y compris les plus malsaines.
Surtout, c’est la structure du livre qui surprend : les chapitres, soigneusement numérotés, ne sont pas présentés dans l’ordre chronologique. Plus surprenante encore est la proposition de l’auteur. Dans le prologue il laisse en effet le choix au lecteur : lire le récit dans l’ordre proposé ou bien en suivant les chapitres, ce qui nécessite une certaine gymnastique, mais est tout à fait possible. J’ai trouvé cette démarche unique car engageante pour le lecteur, qui avant même de débuter doit faire ce choix, duquel découlera forcément deux manières différentes d’appréhender la lecture, notamment en terme de rythme. Après quelques instants de réflexion, j’ai opté pour la lecture telle que proposée (non chronologique). D’où un rythme avec des cassures, de brusques montées en tension avant des retours arrière ou des temps plus calmes, plus lents. Le récit est prenant, mais peut-être un peu trop long par moment : 50 à 100 pages de moins auraient permis de le rendre encore plus étouffant et « embarquant » (mais ce n’est que mon avis !).
Avec ce roman, j’ai découvert un auteur au style unique, particulièrement noir aussi, qui au-delà du seul récit propose une vision fondamentalement pessimiste et questionnante de la psyché humaine. Je le recommande donc vivement … aux lecteurs avertis et non dépressifs !
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Par murielB34 le 20 Mars 2018 à 14:09
Prise au piège, de Robert Dugoni (éditions AmazonCrossing), 462 pages
Ma note : 4/5
Ambiance :
Pour : les amateurs de page turner
Lecture numérique !
Merci aux éditions AmazonCrossing et à Netgalley de m’avoir permis de découvrir ce roman et son auteur.
Ici il est question de la découverte du cadavre d’une jeune femme dans un casier de pêche au crabe, à proximité de Seattle. Tracy Crosswhite et ses coéquipiers, membres de l’unité des crimes violents, vont être chargés de l’enquête, qui va commencer par l’identification difficile de la victime. Le thème central est assez classique donc : une inconnue morte violemment, des super flics, une enquête à mener. Mais l’enquête, justement, va progressivement montrer que tout n’est pas aussi classique que cela dans cette histoire, de même que les personnages.
Des personnages qui tiennent tous la route. Les femmes sont au centre du récit, avec leurs doutes, leurs fêlures, leur volonté d’avancer aussi, plus forte que tout, malgré les drames terribles qu’elles ont connus (assassinat d’une sœur, mort tragique de parents, …). Du côté des protagonistes masculins, plus en retrait, on pourrait reprocher la présence de quelques clichés (le duo de flics inséparables, le supérieur sans carrure, …), mais ils ne nuisent pas à la qualité de l’histoire et rendent certains de ces hommes plutôt attachants (et puis les clichés ne correspondent-ils pas régulièrement à une certaine réalité ?).
Le point fort du roman c’est surtout son tempo : aucun temps mort, une intrigue qui se dévoile progressivement, avec l’alternance des points de vue de Tracy et d’Andréa, l’un sur le déroulé de l’enquête, l’autre sur ce qui s’est produit avant la découverte du cadavre. L’écriture est très agréable, efficace, précise ; elle se met au service du rythme qui va crescendo. Elle nous permet en même temps de découvrir cette région des Etats Unis, ses villes comme ses paysages, si bien décrits qu’on a le sentiment d’être avec les personnages, dans ce restaurant, ce phare, ce chalet, au bord de l’eau, ou en pleine forêt. Les sensations de chaleur, de froid, d’humidité, de bruit, de calme, sont présentes, affirmées.
J’ai lu ce livre en 2 jours (malgré ses plus de 400 pages), embarquée dès les premières pages, et avec une seule envie : arriver au bout, et savoir le pourquoi du comment ! Vous comprendrez donc que je vous le recommande ! A noter : il s’agit du 4eme roman avec ces personnages ; le fait de n’avoir pas lu les précédents ne m’a pas dérangée, je pense d’ailleurs de les procurer afin de mieux faire connaissance avec Tracy Crosswhite.
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Par murielB34 le 12 Mars 2018 à 08:09
Condor, de Caryl Ferey (éditions Folio Policier), 512 pages
Ma note : 4,5/5
Ambiance :
Pour : les amateurs de polars noirs et de romans sociétaux /politiques
Tout d’abord, merci à Livraddict et aux éditions Folio de m’avoir offert ce roman, le 2eme de Caryl Ferey que je lis.
Ici il est question de morts qui n’intéressent pas grand monde : des gamins d’un quartier pauvre de Santiago du Chili. Pas grand-monde à part un prêtre au grand cœur, un ancien proche de Salvador Allende survivant des purges de Pinochet, et une jeune femme Mapuche. Ensemble ils vont faire appel à un avocat, fils de grands bourgeois chiliens mis aux bans sa famille, et vont mener une enquête qui fera ressurgir des sujets datant de la période noire de l’histoire du pays.
Caryl Ferey va donc utiliser le récit pour brosser le portrait d’un pays qui n’en a pas fini avec son passé récent, un pays déchiré entre très grande richesse et grande pauvreté, et dont les dirigeants ont préféré mettre un voile pas si pudique que ça sur les actes commis durant les années Pinochet.
L’histoire est dure, âpre, sans fards ni fioritures. La galerie des personnages proposés est riche et balaie l’ensemble de la société chilienne : gosses des rues, gosses de riches, minorités exclues du pouvoir, minorité régnant sur la politique et l’économie, anciens ayant vécu le coup d’État de Pinochet dans un camp ou dans l’autre, ayant été torturés ou ayant torturé. Les personnages eux-mêmes sont complexes, et à quelques exceptions, tout en nuance, jamais ni tout blancs, ni tout noirs. Tous portent leur part d’ombre et de violence, retenue ou exprimée.
Comme dans Zulu, l’auteur nous embarque avec lui dans une intrigue qui monte en puissance, en tension, avec un rythme maitrisé, qui va crescendo. La brutalité des mots, des actes, des gestes est omniprésente, ainsi que le passé du pays, qui sans cesse est rappelé (par petites touches ou flash-back plus longs). Les sentiments naissent, ou se réveillent, lentement d’abord, puis avec de plus en plus de virulence, jusqu’aux affrontements ultimes, qui s’enchainent, se percutent, se chevauchent.
Encore une fois j’ai adoré l’univers de Caryl Ferey, qui imbrique histoire, social, politique et polar, un univers sans concessions une fois encore, même si le niveau de violence est un peu en deçà de celui présent dans Zulu (enfin, c’est mon ressenti). Encore une fois je vous recommande donc cette lecture ! Quant à moi, 2 autres romans de Ferey m’attendent dans ma MAL, il n’y a plus qu’à…
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Par murielB34 le 31 Janvier 2018 à 19:42
Les putes voilées n’iront jamais au paradis, de Chahdortt Djavann (éditions le Livre de Poche), 216 pages
Ma note : 4/5
Ambiance du livre
Pour : public un peu averti (vocabulaire crû, scènes violentes)
Dès le titre on sait que dans ce court roman les mots de seront ni mâchés, ni édulcorés, et que l’auteure ne sera ni politiquement correcte, ni diplomatiquement policée.
Et effectivement, très très vite, on se retrouve enseveli sous la violence des mots et des actes, la brutalité des termes et des coups. De la première à la dernière page il n’est question que de cela : au mieux indifférence et irrespect, au pire, haine, mépris, viols, moqueries, meurtres. Chahdortt Djavann nous emmène en Iran, un Iran rétrograde, sale et kafkaïen, qui maltraite ses filles et ses femmes en faisant d’elles des sous-citoyennes de peu de valeurs.
Car derrière la vie de ces prostituées payées, huées et assassinées, c’est bien de l’image de la femme dont il est réellement question dans ce livre. Vues des Iraniens (notamment des mollahs, ces religieux qui régentent tout et tout le monde, mais pas que), une femme n’est rien, ou pas grand-chose.
Ou plutôt si… Ce sont des possessions (comme un tapis, un vase ou un paquet de cigarette), vendables et échangeables, jusqu’à ce qu’on ne puisse faire qu’une seule chose : les jeter (au sens propre !) Car trop souvent « utilisées ». Le père possède la fille, le mari possède la femme, le proxénète la prostituée et l’État le droit de vie et surtout de mort …
Dans ce pays, être belle est un malheur car la beauté, même cachée sous un voile, finit par se repérer, et alors on peut vite être vendue par un père qui veut éloigner tout risque de déshonneur (attirer le regard des hommes est une honte dont une gamine de 9 ans, 10 ans, 12 ans, est forcément la seule responsable), tout en espérant une bonne rétribution. Etre laide, ou jusque quelconque, est aussi un terrible malheur, car alors (même voilée) aucun homme ne veut vraiment de vous et pour survivre, le seul choix qui reste, c’est la prostitution.
Dans ce pays tel que décrit par l’auteure, le rapport au sexe -et avant cela la vision des relations entre hommes et femmes- posent de terribles questions. La notion de viol n’existe pas, celle de pédophilie semble floue (marier une fillette de 10 ans semble anodin), quant à parler de plaisir…
Une question se pose toutefois à la lecture : tous les Iraniens sont-ils des monstres ? Toutes les Iraniennes des victimes ? Car dans ce roman, tous les hommes sans exception sont décrits comme frustres et frustrés, les femmes « bien » (comprenez celles qui se taisent et courbent le dos) comme aigries et jalouses ; quant aux mollahs, ils profitent du système en leur faveur, en faisant preuve d’une hypocrisie sans nom. Mais est-vraiment le cas ? Ou bien un trait forcé pour nous permettre de comprendre une réalité qui nous semble à nous, occidentaux, impossible et impensable ?
Quelle que soit la réponse, le roman est un coup de poing et un hurlement adressé à ceux qui le lisent, un roman à lire d’urgence si vous avez le cœur bien accroché, et à fuir si vous craignez le langage crû et la description d’actes parfois très violents.
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Par murielB34 le 30 Janvier 2018 à 16:57
Grossir le ciel, de Franck Bouysse (éditions le Livre de Poche), 240 pages
Ma note perso : 5/5 !!
Ambiance :
Pour : amateurs de romans noirs
Ce roman avait tout pour me déplaire : court, lent, avec peu de personnages, se déroulant en milieu rural. Et pourtant …
Et pourtant il a suffi de quelques pages pour que je me retrouve embarquée dans l’histoire de ce paysan isolé dans les Cévennes, vivant chichement de sa ferme. Un paysan solitaire qui ne s’intéresse qu’à ses terres, ses animaux, qui n’a de lien avec personne excepté son voisin (un autre paysan solitaire comme lui, taciturne comme lui, juste un peu plus âgé), et son chien (qu’il semble aimer bien plus que la plupart des humains) . Un paysan qui connait par cœur les moindres bruits et traces de son coin de montagne, et qui un jour va être surpris, par un bruit différent, des traces qui sortent de l'ordinaire. Ces petites choses vont titiller sa curiosité et le faire sortir d'un quotidien bien organisé, plutôt terne, mais qui jusqu’ici semblait lui convenir.
Voici le point de départ d’un récit, qui, comme un puzzle dont les pièces s’assemblent lentement pour former une image précise, va petit à petit dévoiler les non-dits, faire revenir en surface les souvenirs plus ou moins enfouis. Ce puzzle va nous dévoiler des vies durant lesquelles la violence côtoie le silence, et le sordide les plus beaux des sentiments. Et tout comme ces puzzles que nous assemblons sans disposer du modèle, à l’aveugle, c’est seulement avec les toutes dernières pièces, les toutes dernières pages, que nous pourrons découvrir l’image finale, comprendre l’histoire dans sa totalité.
Derrière la brutalité des faits décrits, ce roman se révèle finalement d’une incroyable finesse. Il laisse lentement apparaitre les différents éléments qui constituent sa trame, sans changement de rythme, sans accélération ni réels rebondissements, mais par touches successives, détails après détails. Nous sommes vraiment très loin d’un page turner, et pourtant il réussit à accrocher et vous emmener avec lui, car vous tenez à comprendre le pourquoi du comment, les tenants et aboutissants de tout ceci. Comme Gus, vous allez vous interroger, piétiner, faire du sur place, croire que… , et ce jusqu’au dénouement.
La plume de l’auteur apporte aussi beaucoup. Elle est très particulière, assez unique, maniant les mots avec une justesse étonnante. Les expressions et tournures de phrases, qui paraissent de prime abord particulièrement bruts et sans fards, sont en fait choisies avec soin pour nous décrire les relations entre les personnages, et bien nous faire comprendre la vision qu’ils ont du monde et de leur vie. Une plume à part, qui peut déranger, déstabiliser, repousser ou vous prendre au piège de son étrangeté, ce qui fut mon cas.
Vous l’avez compris, j’ai adoré ce roman sombre et sobre, que je vous recommande donc vivement !
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